La marche de Mina - 2006



Mon résumé

Japon, Okayama. 1972. A la mort de son père, Tomoko 12 ans, part vivre chez la soeur de sa mère durant l'année où celle-ci décide de reprendre des études de couture à Tokyo qui lui assureront un métier plus stable.
A Ashiya, chez sa tante, Tomoko fait la connaissance du reste de la famille : Erich-Ken, l'oncle, un bel homme élégant qui semble avoir une double vie, Rosa, la grand-mère allemande, Mme Yoneda, qui fait office de cuisinière-dame de compagnie-nounou, M. Kobayashi, le jardinier-soigneur d'animaux, Ryuchi, le grand-frère qui étudie en Suisse, Minako, dite Mina, sa cousine d'un an plus jeune qu'elle. L'oncle est directeur de l'usine Fressy, une sorte de limonade faite à base d'eau d'une source locale.
Vous voulez connaître le contenu ? Il y a du sucre, des arômes, et de l'acidulant entre autres. Là se trouvent les secrets de la fraîcheur et du goût du Fressy, mais nous ne pouvons pas tout vous dévoiler, malheureusement, je vous prie de nous excuser.
p 268

Tomoko apprend à vivre dans son extraordinaire nouvel environnement. Mina est une petite fille souffrant d'asthme et qui va à l'école à dos d'un hippopotame nain, collectionne des boîtes d'allumettes illustrées autour desquelles elle écrit de petites histoires qu'elle cache dans diverses boîtes sous son lit, et lit passionnément. C'est Tomoko qui lui raporte de la bibliothèque les livres qu'elle choisit.

Entre Tomoko et Mina, des liens se tissent comme des fils que rien ne peut couper, même l'éloignement est source de rapprochement...

Lequel est votre pays de naissance, grand-mère Rosa ? questionnai-je et elle me répondit en secouant la tête :
_ Ni l’un ni l’autre. Moi, c’est l’Allemagne. Quand je suis venue me marier au Japon, le pays a été divisé en deux sans qu’on me demande mon avis.
L’ordre d’entrée, les uniformes, les drapeaux étaient différents, mais pour grand-mère Rosa, ils appartenaient tous à un seul pays, l’Allemagne, qu’il était impossible de diviser.
(p.204, il est question des jeux olympiques de Munich, en 1972)

Avec ce long roman, j'achève mon cycle "Ogawa" entrepris il y a un peu moins de 2 ans, en mai 2008 avec "La formule préférée du professeur" grâce à la découverte de cet auteur chez une ancienne blogueuse Flo du blog "Thetoietlis" (le blog n'existe plus : "Flo si tu passes par ici, salutations).

Dans la maison de sa cousine, Tomoko découvre un monde hors du commun. Dans le jardin, Pochiko, une femelle hippopotame nain (Hexaprotodon Liberiensis) venue du Liberia lorsque l'oncle avait 10 ans barbote dans son bassin et sert de moyen de locomotion à Mina lorsqu'elle se rend à l'école.

La grand-mère aime se pomponner avec une multitude de produits de beauté qui envahissent sa coiffeuse, de biens singuliers cosmétiques marqués de deux petites jumelles sur l'étiquette. La tante passe son temps dans son fumoir, à boire et fumer tout en cherchant les coquilles qui se sont glissées dans toute sorte d'imprimés. L'oncle disparaît des jours entiers de chez lui, sans que personne ne lui explique pourquoi. Et Mina l'invite dans son monde emprunt de poésie.

Les deux cousines s'immergent dans un monde où les frontières s'étirent au delà du temps et des origines.
Noël vint. Il était prévu que ma mère et moi nous profitions des vacances de l'école de couture de Tokyo pour retourner fêter le Nouvel an à Okayama, mais ma mère avait attrapé la grippe, ce qui l'avait empêchée de revenir. On décida finalement que je resterai à Ashiya pendant les vacances d'hiver. Mais cette nouvelle désolante fut vite balayée par le pressentiment d'un Noël merveilleux, tel qu'on ne peut pas croire qu'il y en ait en ce monde, que j'allais vivre pour la première fois. Au contraire, je fus plutôt reconnaissante à ma mère d'avoir attrapé la grippe.(p 286)

Beaucoup d'émotions dans ce roman qui condense un grand nombre des thèmes récurrents chez Ogawa : les collections (les boîtes d'allumettes), la mort (le père de Tomoko, Irma la soeur jumelle de grand-mère Rosa), l'eau (la pluie, le Fressy, le bassin de Pochiko), la beauté, l'ordre, la famille, la mémoire, les liens, l'absence, l'écriture, l'invention.

Ogawa aborde aussi pour la première fois me semble-t-il la déportation des Juifs avec l'histoire de la famille de la grand-mère.
C'est ma tante qui m'a appris que toute la famille de grand-mère Rosa, à commencer par Irma, était morte dans les camps de concentration nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale, et que grand-mère Rosa avait été la seule à échapper au massacre parce qu'elle se trouvait au Japon.
- Un jour, on a sonné à la porte de leur appartement à Berlin et toute la famille d'Irma a été emmenée. On les a envoyés dans les chambres à gaz tu sais.

Nous savons qu'Ogawa a été très touchée par la lecture du Journal d'Anne Franck, je pense qu'elle veut intégrer à ses oeuvres les choses qui lui tiennent à coeur : une référence à la Shoah ici, une allusion à la cachette dissimulée dans Cristallisation secrète.

Dans ce roman, Ogawa parle aussi d'un auteur apprécié : Yasunari Kawabata.
- Ce monsieur Kawabata Yasunari, c'est un ami de la famille ? questionnai-je à la cantonade.
- Non, répondit grand-mère Rosa en décroisant ses mains.
- C'est que vous avez toutes tellement l'air sous le choc...
- Ce n'est pas une connaissance. Nous ne l'avons jamais rencontré. Mais monsieur Kawabata, c'est un écrivain, n'est-ce pas ? Quelqu'un qui écrit des livres. Même ici, il y a des livres de monsieur Kawabata. Ce n'est pas une connaissance, mais nous avons un lien. Monsieur Kawabata a écrit des livres, qui sont ici. Ces livres, tout le monde les lit. C'est pourquoi nous sommes tristes.(p 82)
.../...
J'ai commencé à fréquenter la bibliothèque municipale d'Ashiya après le suicide de Kawabata Yasunari.
- J'ai quelque chose à te demander, commença Mina un samedi après-midi, tu ne voudrais pas aller me chercher des livres à la bibliothèque ? (p 85)
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Le titre des "Belles endormies" convenait parfaitement à Mina. Peut-être que ce jeune homme qui se trouvait devant moi avait tout deviné. N'avait-il pas découvert que je n'étais qu'une messagère et que la véritable belle qui voulait un livre de Kawabata attendait dans une maison de style occidental sur la colline ? (p 89)
Autre chose à dire à propos de ce roman. Je trouve qu'Ogawa investit les enfants d'une véritable conscience, de maturité : les cousines s'amusent, mais elles sont aussi très réfléchies, elles éprouvent des sentiments dignes d'être pris au sérieux. Ce ne sont pas que des petites filles modèles, elles ont un univers, des secrets, des pouvoirs...

J'aime la manière dont Ogawa donne vie à ses personnages, leur laissant une liberté, celle de nous bouleverser, de nous attendrir, de nous atteindre.

Je fais un voeu : que Rose-Marie Makino-Fayolle soit en train de travailler à la traduction d'un des quatorze livres encore non traduits...




Titre original : Mīna no kōshin
Traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle